Hôtel de Caumont : Botero dialogue avec Picasso

Une exposition évènementielle qui confronte, à travers leurs œuvres, deux géants de l’art moderne.

Dans la biographie de tout grand artiste, il y a des influences secrètes ou affirmées. On ne naît pas artiste, on le devient par un travail acharné où l’étude des textes et des œuvres étaye l’apprentissage technique, voire la copie pratiquée comme telle. Picasso ne fit pas autrement, n’ayant jamais caché son admiration pour Le Gréco et Vélasquez, reprenant leurs sujets pour mieux les personnaliser. Avant d’influencer à son tour d’innombrables peintres de son temps ou après lui. Parmi ceux-là, il y a Fernando Botero. Très tôt, l’artiste colombien a vu en Picasso un maître indépassé, le plus grand artiste du XXeme siècle à ses yeux. C’est d’ailleurs à un article écrit sur lui à dix-sept ans (« Picasso et le non-conformisme en art ») que Botero devra son renvoi du collège. Ce qui ne l’empêchera pas de faire lui aussi une carrière internationale, devenant l’un des peintres sud-américains les plus réputés au monde. Pourtant, à quatre-vingt cinq ans maintenant, il regrette toujours son rendez-vous manqué avec l’auteur de Guernica en 1952, à Vallauris.
Réunir, à toutes fins d’approche comparatiste, ces deux immenses personnalités artistiques, était un projet ambitieux mais ô combien stimulant. C’est à l’historienne d’art Cecilia Braschi, commissaire de l’exposition, qu’il revient de l’avoir porté et fait programmer par l’hôtel de Caumont. Du reste, il s’inscrit dans un projet encore plus vaste, Picasso-Méditerranée, piloté par le musée Picasso de Paris (dont l’exposition d’automne, Picasso 1932, fait un écho aléatoire à l’année de naissance de Botero). Évidemment, la proportion d’œuvres rassemblées ici n’est pas égale : soixante toiles pour Botero et vingt pour Picasso. Mais, au regard de la cote des deux artistes, cela reste exceptionnel pour un musée de province.

Fernando Botero, Autoportrait
Suivant une scénographie élaborée par Laurence Fontaine, l’exposition se déploie sur les deux étages du somptueux hôtel. Elle met en avant les références à la culture hispanique commune aux deux peintres, mais aussi leurs antinomies à travers leur refus – partagé - du réalisme corporel : formes volumineuses et sensuelles pour Botero, étirée et anguleuses pour Picasso (même si ce dernier représenta aussi des corps monumentaux durant sa période néo-classique). Neuf sections balisent ce parcours exigeant : elles sont respectivement consacrées au portrait, aux appropriations, à la nature morte, au nu, aux évènements historiques, à la corrida, à la fête et au cirque, à la musique et la danse. On se promène dans ce décor feutré, cherchant d’un mur à un autre les convergences qui nous sont suggérées. Ainsi, dans la section Corrida, on ne peut que s’attarder sur La Cornada (1988) qui reprend, cinquante-cinq ans plus tard, le thème de la mort du toréro dans l’arène traité par Picasso dès 1933. Dans la section précédente consacrée aux évènements historiques, c’est Picasso qui cite Goya cette fois, à travers une huile comme Massacre en Corée (1951), réécriture cubiste du célèbre El tres de Mayo (1814). Botero lui-même fait un clin d’œil au vieux maître espagnol quand il peint, en 1989, les portraits du président et de la première dame (de Colombie). A ceci près que son style « énorme » rend encore plus grotesque la comédie du pouvoir. Il le dessert, en revanche, quand il s’attaque à des sujets tragiques, comme un tremblement de terre ou un règlement de comptes sanglant dans un restaurant de Medellin, car sa rondeur atténue la violence des scènes représentées.

Fernando Botero, La salle de bain
Voilà pour inviter à la découverte de cette très belle exposition qui comblera de joie tous ceux que désespèrent les anorexiques propositions d’art minimaliste et conceptuel. Il est à signaler que c’est Botero lui-même qui a pensé ce parcours et choisi les œuvres qui le composent. Il commence, en fait, dès la cour d’entrée du musée, avec cette sculpture chevaline qui offre un autre aspect du travail de l’artiste colombien. Qui a osé dire qu’il n’y avait jamais rien de bien par ici ?
Du 24 novembre 2017 au 11 mars 2018. Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph Cabasssol, 13100 Aix-en-Provence. Tel : 04 42 20 70 01. Ou sur : www.caumont-centredart.com
Jacques LUCCHESI
(Article initialement publié sur le webmag de Toutma)

Commentaires