Olivier Gruber

Dans l’atelier d’Olivier Gruber règne un joyeux désordre de fripier. Ses toiles, bâches et draps, sont empilées ou entassées dans des recoins. D’elles on ne voit tout d’abord que leur matérialité textile. Mais à peine déroulées, les richesses cachées dans leurs plis s’imposent à nos yeux ébahis. On songe forcément aux élans ascétiques de Support-Surface, même si le rapprochement n’est ici que formel. Ancien élève des Beaux Arts de Luminy, longtemps décorateur d’intérieur, Olivier Gruber  a entrepris, voici quelques années, de revenir aux fondamentaux de son art : le graphisme et la couleur. Il a ainsi redécouvert la liberté du geste pictural et, avec lui, le pur plaisir de peindre. L’acrylique est bien sûr privilégié, mais on trouve aussi dans ses compositions du pastel et du papier marouflé. Parfois ce sont des morceaux de tissu peints et découpés qu’il ajoute à ses toiles, leur conférant ainsi une fine épaisseur, comme un souvenir de ses années de gravure. Son goût pour le bleu et ses différentes tonalités n’exclut pas, non plus, l’apport des couleurs plus vives dans un souci affirmé de contrastes.  S’il part souvent d’un motif central en aplat, entre figuration et abstraction, celui-ci est rapidement délaissé au profit de l’aléa et de l’accident du tracé. La forme humaine y est souvent morcelée, quand ce n’est pas sa silhouette qui déploie un anonymat éloquent. Mais l’animal y est aussi convié, particulièrement la figure de l’âne dont on sait l’humilité attachée à sa symbolique. 

Comme les mots, pour d’autres, entraînent les idées, Gruber se laisse volontiers guider par ses pinceaux, chaque signe en appelant un autre pour s’intégrer dans un ensemble plus précis qui réoriente complètement son inspiration initiale. D’où cette prolifération de plans de lecture dans ses toiles, ce qui donne parfois l’impression d’un rébus. Elles convoquent d’ailleurs les mots comme un supplément de sens ; à moins que ce ne soit pour entraîner malicieusement le spectateur vers une autre piste (comme ce  Pas à pas/je confronte/mes incertitudes). Son sens de l’expérimentation, loin de se limiter à la surface de ses toiles, les déborde souvent et s’attaque à leurs contours mêmes. Ainsi une oeuvre comme l’Algérienne – clin d’œil à Delacroix et Picasso – prend, une fois dépliée, l’allure d’une longue robe arabe. D’autres, dûment retaillées, ont la rondeur d’une orange. Tandis que les replis habilement sculptés de Vol de nuit laissent entrevoir une figure mystérieuse et inquiétante.
Un univers singulier, riche de réminiscences et ouvert à de multiples interprétations, prend vie devant nos yeux à la façon d’un livre qu’on feuillette. Par son travail incessant de reformulation artistique, Olivier Gruber nous rappelle que tout se transforme et que, finalement, on ne fait du neuf qu’avec de l’ancien.

Jacques LUCCHESI

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