Du Mucem à la Vieille Charité : Picasso en majesté

                                                    
    Femme nue au bonnet turc
 Depuis sa disparition en 1973, à l’âge de 91 ans, Picasso est peut-être le seul artiste du XXeme siècle à n’avoir jamais connu d’éclipse. Dans les grandes maisons d’enchères, sa cote est au plus haut, juste derrière Léonard de Vinci. Chaque année apporte au public, tant français qu’étranger, son lot de nouvelles expositions qui scrutent, sous un angle ou un autre, l’œuvre – immense – du maître catalan. Ainsi, le projet Picasso-Méditerranée, piloté par le musée Picasso de Paris, ne propose pas moins de soixante expositions entre 2017 et 2019. C’est dans cette mouvance que s’inscrivent les deux expositions que Marseille lui consacre en ouverture de l’évènement culturel Quel amour !. Pour la circonstance, ses deux principaux musées, le Mucem et la Vieille Charité, ont accordé leurs violons afin de programmer un circuit axé sur deux approches bien distinctes de cet artiste incontournable.

La première, au Mucem, Picasso et les ballets russes, entre Italie et Espagne, est d’ordre monographique. Par sa dimension folklorique elle fait écho à Picasso et les arts populaires, proposée ici même voici deux ans. Outre les créations de Picasso, elle présente, concentrés dans une unique salle, de très nombreux documents et objets d’art, en rapport tant avec la chorégraphie  que le théâtre napolitain. Pour la plupart, ils proviennent du musée de Capodimonte (Naples). Dans les années qui marquent la fin du premier conflit mondial, Picasso visite Naples en compagnie de Sergeï Diaghilev, afin de préparer les décors et les costumes de quatre ballets : Parade (1917), Tricorne (1919), Pulcinella (1920) et Cuadro Flamenco (1921). Comme toujours Picasso va puiser dans les traditions locales (affiches, marionnettes de la Comédia dell’Arte) pour imaginer des formes et des couleurs magnifiant ses sujets. Papiers découpés, encres, gouaches, aquarelles : tout lui est bon pour exprimer une créativité jaillissante et néanmoins orientée vers la finalité de la scène. Si les grands mannequins ornementés de Parade captent inévitablement l’attention du visiteur, on ne passera pas sous silence la beauté intrinsèque de certaines planches de petits formats qui, avec leurs personnages chamarrés, évoquent des cartes à jouer. Du reste, cette exposition est aussi l’occasion de découvrir d’autres expressions  remarquables comme, à la même époque,  les marionnettes et les dessins futuristes de l’artiste napolitain Fortunato Depero. 
Projet de costumes pour le ballet Tricorne

Si Picasso, malgré quelques périples en Europe, ne fut pas vraiment un artiste voyageur, il sut tirer profit de toutes les informations qui lui parvenaient quotidiennement, en particulier sous la forme de cartes postales – une vitrine toute entière leur est consacrée ici. Cette appréhension immobile du monde est un peu le fil d’Ariane de la seconde exposition, Picasso, voyages imaginaires, présentée à la Vieille Charité. Projet ambitieux et bien documenté qui ne rassemble pas moins de 292 pièces réparties, selon un souci diachronique, sur cinq salles. Apportent-elles un regard nouveau sur l’œuvre de Picasso ? Rien n’est moins certain, malgré le plaisir que l’on prend à voir (ou à revoir) ses sculptures en bronze ou en bois (Le fou, Buste de Fernande), ses grands dessins d’inspiration néo-classique (Trois femmes à la fontaine, La source) ou ses réécritures tardives des chefs d’œuvres de ses aînés (L’enlèvement des Sabines, de Poussin,  Les femmes d’Alger, de Delacroix). Il suffit d’ailleurs d’examiner les intitulés respectifs de ces cinq sections pour retrouver, chaque fois, un aspect ou une époque désormais sans mystère de l’œuvre picassienne. Derrière La Bohème Bleue c’est bien sûr la période de la même couleur dont il est question. Ou de l’art africain derrière L’Afrique fantôme – titre d’un beau livre de Michel Leiris, ami et correspondant de Picasso. Ces considérations n’évincent pas l’intérêt esthétique de cette exposition ni la richesse de ses prêts. Elles disent simplement la difficulté qu’il y a à trouver, en 2018, des éclairages originaux sur cette œuvre, certes fascinante mais archi- commentée. Ce qui est, convenons en, le problème spécifique des curateurs.

Du 16 février au 24 juin 2018. Informations et réservations sur www.marseille.fr


Jacques LUCCHESI

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